On ne sait pas vous, mais nous, il y a quelques jours, on a frôlé la schizophrénie en ouvrant notre boîte mail : “Votre dernière chance du Black Friday !” “- 50 % sur notre E-Shop !” “Pour le Green Friday, plantez un arbre.” “Pourquoi nous ne faisons pas de réduction aujourd’hui ?”
On a remarqué que depuis quelques années, il y avait un grand débat autour du Black Friday en France. Boycotter ou profiter ? Green or Black : on nous demande de choisir.
Chez Clear Fashion, nous défendons depuis notre création une consommation de la mode raisonnée, respectueuse et durable. Nous sommes convaincues qu’en fédérant les consommateurs et en leur apportant des informations sur l’impact et l’histoire des vêtements, nous pouvons faire changer le secteur.
Si nous nous questionnons sur l’intérêt de ce débat “pour ou contre le black friday” c’est parce qu’il nous laisse croire qu’en tant que consommateurs nous sommes les principaux responsables des choix des entreprises qui, pour faire du profit, ferment les yeux sur leur chaîne de production et agissent au détriment des droits fondamentaux humains et du droit de l’environnement.
Le black-friday est le symptôme d’une maladie dont les causes sont plus complexes et profondes. C’est le secteur qui va mal et il est urgent de le changer si on aime profondément la mode : pour que la mode ne soit plus le symbole de la surconsommation, mais de la créativité française et à l’image des valeurs de respect des droits humains et environnementaux qui font l’identité française.
Le Black Friday est devenu le symbole d’un système qui profite aux entreprises qui agissent au détriment des droits fondamentaux
Les promotions, les réductions de prix, les braderies sont très anciennes dans le monde du commerce. Les soldes, comme on l’entend aujourd’hui, avec une durée de 6 semaines deux fois par an, remontent à la création des grands magasins au XIXème siècle. A l’origine, les soldes représentent les deux seuls moments de l’année où les marques sont autorisées à vendre à perte (c’est-à-dire moins cher que le prix d’achat). Cela leur permet d’écouler la marchandise de l’ancienne collection et ainsi faire de la place pour la nouvelle, permettant donc aux consommateurs de profiter d’articles à plus bas prix.
Si cela permet aux commerçants d'écouler les stocks et aux consommateurs de profiter d’articles moins chers : il n’y pas vraiment de problème non ?
Évidemment, les choses ont changé en 2008 avec la création des soldes flottantes. Cette législation offre la possibilité pour le commerçant de vendre à perte durant une semaine, deux fois dans l’année en dehors des soldes fixes : chacun décide donc de sa date de “soldes hors soldes ». Ainsi, entre pré-soldes, soldes d’hiver et d’été, promotions, ventes privilèges et Black Friday, 47 % des ventes se font aujourd’hui à prix réduits, selon Kantar Worldpanel. Le prix ne veut plus rien dire. Comme le disait Frank Rosenthal : « L’enjeu est de redonner de la valeur à ce marché, et la révolution doit s’opérer par l’offre. Mais à condition de bien le faire. »
La surpromotion dévalorise l’ensemble du marché : 150 milliards d’euros de chiffre d'affaires, 33 milliards d’euros de chiffre d'affaires à l’exportation, 800 000 emplois. C’est ça, le marché de la mode en France, “l’expression du génie créatif français” dit Bruno Lemaire.
Alors que l’on achète 60% de vêtements en plus qu’il y a 15 ans, le secteur de la mode a perdu 15% de sa valeur ajoutée en 10 ans. Et ça continue. Baisse de prix, baisse de qualité, manque de transparence des marques, scandales concernant les conditions des travailleurs, vêtements qui durent 3 mois…Tous ces arguments incitent les consommateurs à changer leur comportement : 44% des consommateurs français déclarent avoir acheté moins de vêtements en 2018, dont près d’un sur deux par “choix responsable”.
Et cette dévalorisation a de grandes conséquences auprès des petites entreprises qui cherchent à produire de manière responsable : comment peuvent-elles s’aligner sur les prix de leurs concurrents, tout en se développant de manière responsable ? Alors que la compétition pourrait nous entraîner vers une amélioration des chaînes de production plus efficaces et responsables, elle nous entraîne tous vers le bas.
Sans information, il nous est impossible d’identifier les marques responsables.
Étant donné le flou, certains préfèrent acheter au rabais, plutôt que de payer plein pot un vêtement. On ne souhaite pas que la marge se fasse sur notre dos, on se dit que chacun de nos choix ne changera pas grand chose et que de toute façon ‘toutes les marques sont pareilles”.
En réalité, les victimes de ce système qui martèle avec ses promotions, qui pousse les prix vers le bas, ce sont nous les citoyens, les travailleurs, les animaux et notre environnement.
Vous n’êtes pas responsable du système, mais vous pouvez demander à ce qu’il change
Si j'achète une paire de bottines pour remplacer mon ancienne paire usée ou que “je craque” durant le black friday pour ce joli pull parce qu’il me plait vraiment, suis-je davantage “complice” ?
Cessons de juger les consommateurs qui n’ont parfois pas d’autres choix que d’acheter des produits en cette période. Prenons un peu de recul, ce n'est pas aux consommateurs de culpabiliser, mais à tous ceux qui maintiennent ce système de changer.
Nous pouvons tous agir pour faire évoluer le système.
Pour que la mode ne soit plus le symbole de la surconsommation mais de la créativité française avec les valeurs et principes de respect des droits humains et environnementaux qui font la France.
Agissons ensemble. Si l’urgence est telle que nous ne pouvons attendre qu’il y ait de nouvelles réglementations, agissons auprès des marques directement.
Demandons leur de la transparence sur les prix, une transparence sur leur chaîne de production et de leurs impacts. Demandons leur de changer leurs pratiques, d’ailleurs plus de 170 000 personnes le font déjà avec Clear Fashion.
Le changement est en cours, certaines marques agissent : plus de 150 marques s’engagent dans cette direction en s'évaluant sur l’application Clear Fashion, en apportant plus de visibilité aux consommateurs et en revoyant sur leurs pratiques. Mais ce n’est que le début : en 2019, seules 8% des enseignes textiles considéraient le développement durable comme une priorité.
Il faut que chacun d’entre nous agisse pour que la mode responsable devienne la norme.
S’attaquer au symbole d’une mode déchue pour construire la mode de demain
Les acteurs qui s’attaquent au Black Friday s'attaquent en réalité au système décadent qui regorge de problèmes sociaux et environnementaux : pollution, travail forcé, surproduction, maltraitance animale... Système que l’on aimerait voir disparaître pour voir une autre mode apparaître.
Mais à vouloir à tout prix être contre le black friday, nous créons un sentiment de frustration, participons à la culpabilisation des individus n’ayant parfois pas le choix d’une mode responsable. Pour pouvoir choisir de manière responsable, il nous faut des informations et...des alternatives : 72 % des entreprises ont ponctuellement recours à des matières premières à impact environnemental réduit mais seules 4 % des entreprises l’ont généralisé à plus de 50 % des volumes
Les mouvements Anti-black friday et Pro-mode responsable
ont pourtant le même espoir.
Celui d’une mode où l’on pourrait acheter un vêtement en connaissant ses lieux de production, son impact, sa qualité pour déterminer sa juste valeur.
Une mode créative, qui crée non pas seulement des vêtements aux tendances éphémères mais des vêtements issus d’un élan créatif et d’un savoir-faire, qui génère de l’emploi et dont on redistribue la richesse à tous ceux qui ont participé à leur fabrication.
Une mode transparente où l’on ne se demanderait pas si en achetant un t-shirt nous participons à l’exploitation de la communauté Ouïghours.
Une mode dans laquelle les tendances hebdomadaires, les bas prix, les codes promos et les publicités agressives ne nous font pas croire à de nouveaux besoins.
Une mode dans laquelle les achats de vêtements ne sont plus jetables, mais un investissement, un patrimoine que l’on peut léguer à ses enfants, qui détiennent une histoire et font renaître un souvenir
Ralentissons notre fréquence d’achats, usons de notre droit d’information, responsabilisons les marques face à leurs pratiques et soutenons celles qui font la mode de demain. Une mode dont les français seraient fiers, à l’image des combats pour les droits fondamentaux et environnementaux de ses citoyens.
Rym Trabelsi et Marguerite Dorangeon
Fondatrices de Clear Fashion